En 2009, Peter Longerich publiait un livre avec ce titre au sujet de l´amnésie généralisée sur la solution finale en Allemagne. Près de 80 ans après, alors que les protagonistes ne sont plus de ce monde, nous nous rendons bien compte que nous savions même en Belgique. Aujourd´hui, les héritiers de la famille Quandt partagent leurs profonds regrets pour les profits colossaux faits par BMW grâce au nazisme, mais ils ne partagent pas les bénéfices. Ils ne sont qu´ un exemple parmi tant d´autres qui s´enrichissent grâce aux guerres, vols, crimes, misères, maladies ou morts qu´ils génèrent. Patrice Lumumba a aujourd´hui une statue à Bruxelles, nous ignorons toujours pour le bien de qui il a été assassiné. Pour Julien Lahaut, l´enquête piétine. Raoul Villain assassine Jaurés et est acquitté pour « égarement patriotique ». Les tueurs du Brabant, il y a si longtemps. Il suffit d´être du bon côté de la gâchette pour faire justice et inventer l´histoire qui nous justifie et nous bonifie. Les mortes et les morts ont peu d´esprit de contradiction et ont peu d´opportunité de mener une enquête ou de demander réparation.
C´est parfait pour la rentabilité, le profit, la croissance de quelques personnes.
Alors, dans quelques décennies, un autre livre sortira et pourra avoir le même titre : Nous ne savions pas. Nos générations futures le liront avec colère, mépris ou tristesse. Sans doute en 2090, nous ferons des statues pour les millions d´humains déjà assassinés aujourd´hui pour le coltan de nos téléphones. Nous ferons aussi des monuments pour les autres millions de personnes mortes pour que les compagnies pétrolières nous fournissent l´essence dont nos voitures ont besoin aujourd´hui pour transporter les produits bio que nous mangeons en pleine conscience. Nous étudierons – si l´humanité existe encore – l´histoire de nos banques qui investissent notre argent pour faire des armes nucléaires ou le blanchissent pour financer le terrorisme. Ces banques qui chaque fois qu´elles font faillite sont sauvées par nos contributions pendant que les responsables intouchables ont des retraites dorées. Nous nous étonnerons d´avoir exporté des armes et d´avoir laissé se noyer en Méditerranée des gens qui fuyaient les guerres menées avec ces armes. Les gilets jaunes seront sans doute tombés dans l´oubli ou rentrés dans les rangs. Depuis 1906, nous savions que l´amiante était toxique, pourtant des milliers de personnes en sont mortes durant tout le siècle passé pour produire la fortune de la famille Emsens dont, en 2005, des héritiers ont été anoblis. Nous aurons oublié aussi qu´une certaine presse, qui dénonçait ce crime a été censurée.
Il suffit de laisser passer les années et tout passe et s´oublie. Nous nous dirons, c´est scandaleux, ces fabricants de voitures qui disaient que leurs voitures polluaient peu alors qu´elles polluaient beaucoup plus. Nous nous offusquerons d´un des arguments de la défense : C´est une erreur, reconnaît BMW, qui en même temps donne au parti d´Angela Merkel 690.000 euros.
Nous dirons alors que nous étions lâches ou nous nous laissions manipuler. Nous nous indignerons des effets secondaires de certains produits, aliments ou médicaments. Nous nous demanderons comment des scientifiques, des politiques, des juristes, des militaires, des journalistes ont pu garder le silence ou participer à telles ou telles aberrations sur le climat ou autre chose.
À qui profite le crime?
C´est une question banale qui sous-entend que le crime est profitable, non?
Nous verrons les collusions entre le politique et l´économique pour socialiser les pertes et privatiser les profits. Enfin, ce n´est pas grave, nous serons déjà six pieds sous terre, et on pourra nous juger, cela ne nous fera rien.
Les abeilles n´existeront sans doute plus et nous devrons légalement acheter des drones à Monsanto pour la pollinisation. Oui, nous le savons aujourd´hui, dans notre monde, toutes les 6 secondes, un enfant meurt de malnutrition, toutes les 15, une personne meurt d’un accident ou d’une maladie liés au travail, toutes les 30, une personne meurt d´un accident de la route et toutes les 40, une personne se suicide. Nous le savons et nous oublions, comme beaucoup de gens vers 1930. Nous tentons juste de travailler pour avoir un toit, à manger, élever nos enfants, leur donner un peu plus de chances. Pour vivre, nous dé-pensons, donc nous ne pensons pas que d´autres proches ou lointains souffrent ou crèvent par nous ou pour nous. En plus, c´est vrai, nous n´avons pas le temps. Tout va si vite…