Christian Laval, sociologue et philosophe français, a donné une conférence passionnante à l’IHECS en 2024 intitulée : « Le choix de la guerre civile. Une autre histoire du néolibéralisme ». Au cours de sa conférence, il a abordé un concept central de ses théories : « l’ennemiisation ».

 

Qu’est-ce que l’« ennemisation » ?

 

Le processus d’infériorisation transforme les conflits politiques en confrontations manichéennes et constitue l’un des mécanismes les plus destructeurs utilisés contre les sociétés démocratiques. La manière la plus simple de le définir est de faire référence à la mentalité du « nous contre eux ». Plutôt que d’être abordées comme un ensemble diversifié de personnes aux origines et aux besoins différents, les populations sont divisées et dressées les unes contre les autres.

L’ennémisation se manifeste selon trois dynamiques principales :

La création d’un « ennemi » commun

Cette stratégie consiste à construire une figure ou un groupe de personnes (généralement des minorités) qui serait responsable de toutes les menaces ou maux sociaux. Des termes tels que « Woke », « éco-terroristes » ou « islamo-gauchistes » sont souvent utilisés pour mobiliser les individus par la peur ou le rejet.

 

La dégradation du débat démocratique

Le dialogue rationnel et respectueux est remplacé par l’hostilité et la mauvaise volonté. Les compromis ne sont pas pris en compte et chaque partie ne cherche qu’à faire valoir ses propres intérêts. Cela s’applique non seulement aux hommes politiques, mais aussi à la manière dont le débat politique est mené dans la société.

Certains affirment que le débat démocratique est en déclin depuis des années. Le président de la Fondation Catalunya Europa, Josep Maria Vallès, affirme que les menaces qui pèsent sur nos démocraties sont plus grandes aujourd’hui qu’elles ne l’ont été depuis le début du siècle. Il souligne également que nous sommes tous responsables de la manière dont le débat démocratique est mené.

« La démocratie n’est jamais une destination finale, ni un lieu que l’on conquiert et c’est tout… il y a actuellement une dérive qui peut nous faire reculer, surtout si nous renonçons à l’effort de la défendre. »

L’ennemi comme outil de pouvoir

Exploitée par certaines élites, l’hostilité sert à galvaniser un « peuple » supposé homogène et à détourner l’attention de problèmes plus imminents, comme les inégalités sociales ou les crises écologiques.

Le résultat de l’hostilité est alarmant. Les populations connaissent des divisions sociales et les institutions démocratiques sont affaiblies. Les politiques, les financements et l’attention sont détournés des crises plus immédiates qui doivent être résolues, crises qui ne peuvent être affrontées que par une approche unie et mondiale.

 

Malgré les preuves accablantes que le changement climatique est l’un des plus grands problèmes auxquels l’humanité est confrontée, la répression des manifestations pour le climat est en augmentation.

Comment lutter contre l’ennémisation ?

 

Christian Laval propose plusieurs pistes pour déminer cette logique destructrice :

  1. Renforcer l’éducation politique et la pensée critique : Sensibiliser les citoyens à détecter et contrer les discours polarisants.
  2. Encourager le dialogue et la participation citoyenne : Créer des espaces où les groupes aux opinions divergentes peuvent discuter constructivement et participer aux processus décisionnels.
  3. Réformer les médias et plateformes numériques : Limiter les algorithmes amplifiant les tensions et promouvoir un journalisme axé sur les solutions.
  4. Réhabiliter les institutions démocratiques : Les rendre plus inclusives et transparentes tout en renforçant les contre-pouvoirs.
  5. Dénoncer les logiques populistes : Promouvoir des discours qui valorisent la complexité et responsabilisent les leaders politiques.
  6. Cultiver une éthique du respect et de l’empathie : Encourager une culture de l’altérité qui considère la diversité comme une richesse.
  7. Construire des alternatives positives : Lutter contre les inégalités et proposer des projets communs mobilisateurs, comme la transition écologique ou la justice sociale.

Un effort collectif pour le bien commun

L’hostilité n’est pas une fatalité. En renforçant le dialogue, l’éducation et la justice sociale, nous pouvons reconstruire une politique au cœur du bien commun. La responsabilité incombe à tous : citoyens, institutions, médias et dirigeants.

Alors, comment contribuer à désamorcer ou à mettre fin à l’ennémisation ?

Sociologue et philosophe, Christian Laval, avec le co-fondateur d’Philoma, Laurent Ledoux à l’IHECS à Bruxelles (2024).

 

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