Bonjour,
Vous pouvez aussi écouter cet article.
Publiés en 1951, ces quelques vers de Jean Tardieu ne décrivent-ils pas parfaitement l’absurdité meurtrière de l’invasion de l’Ukraine et l’embrasement guerrier du monde depuis ?
Dans ce contexte, voter en conscience lors des prochaines élections européennes est plus que jamais un acte de leadership essentiel dont peut faire preuve chacun de nous.
Voter en conscience, c’est élire des députés « responsables ». Des députés qui seront capables de prendre, avec leurs collègues des autres pays de l’Union, les décisions difficiles mais cruciales pour assurer, dans les prochaines années et décennies, que l’Europe garantisse, comme cela est écrit dans les traités, “un espace de liberté, de sécurité, et de justice”.[1]
D’emblée, il me semble essentiel d’apporter deux précisions à cet objectif de liberté, de sécurité et de justice :
– Réaliser cet objectif nécessite de garantir que l’Europe reste une terre habitable, ce qui implique de mettre tout en œuvre pour relever au plus vite les défis liés à la crise environnementale ;
– Réaliser cet objectif n’est pas seulement vital pour les Européens : ce l’est aussi pour tous les peuples du monde. En effet, malgré ses imperfections et ses faiblesses, l’UE est un extraordinaire laboratoire pacifique et démocratique, unique dans l’histoire de l’humanité, au travers duquel des nations, qui s’étaient entre-déchirées pendant des siècles et avaient exploités outrageusement une grande partie du reste du monde, s’unissent politiquement et économiquement et renoncent à exploiter les autres, au nom de valeurs “universelles”, ou du moins les plus “universalisables” à ce jour.
J’insiste donc sur le fait que la construction d’une véritable Europe de la Défense ne doit pas seulement être vue comme une façon de protéger le bien-être des Européens, mais également comme une condition indispensable pour que l’Europe puisse continuer à promouvoir – de façon pacifique – ces valeurs universelles dans le monde entier, au profit de tous les êtres humains, quels qu’ils soient. Par ailleurs, il est évident qu’il ne sera possible pour l’Europe de rester une “terre habitable” d’un point de vue écologique, que si le monde dans sa globalité le reste également. Le sort de tous les peuples est donc intimement lié, et la force principale qui a porté la construction européenne jusqu’ici réside dans la conscience de cette évidence et de vouloir agir en conséquence.
Dans cette newsletter[2] inhabituelle, plus politique[3] que philosophique ou spirituelle, je vais tenter, en préparation aux élections européennes du 9 juin, de :
– Expliquer en quoi la construction d’une véritable Europe de la défense est selon moi le défi le plus urgent et que l’Europe doit relever et en quoi ce défi est “au centre” de tous les autres ;
– Formuler diverses pistes pour relever ce défi au plus vite, qui implique inévitablement d’aller vers la construction d’un Etat fédéral européen ;
– Évoquer les partis belges ou paneuropéens qui partagent une analyse similaire, tout en précisant que je ne suis affilié à aucun parti, mon seul souci étant celui du bien commun ou de l’intérêt général.
L’Europe est mortelle
Comme l’a rappelé Emmanuel Macron dans son discours à la Sorbonne du 25 avril 2024, « L’Europe est mortelle », et avec elle, tout ce que la construction européenne de l’après-guerre a apporté de positif au monde.
En effet, ce qu’a accompli l’Europe ces 70 dernières années comme je l’ai évoqué plus haut est un exemple inédit dans l’histoire du monde.
Mais cette construction pacifique et démocratique à vocation d’exemple pour le reste du monde est d’autant plus fragile que les autocrates et dictateurs du monde entier craignent précisément que les succès de l’Europe en termes de bien-être de leurs citoyens n’inspirent leurs propres populations à exiger, elles aussi, plus de liberté et de démocratie.
L’Europe est également minée de l’intérieur, et de plus en plus profondément :
– D’une part, par des partis populistes et extrémistes, en grande partie rassemblés dans le parti européen ID, Identity & Democracy[4]. Ce dernier rassemble des partis tels que l’AfD allemand d’Alice Weidel, la Lega italienne de Matteo Salvini, le RN français de Marine Le Pen, le PVV hollandais de Geert Wilders ou le “Vlaams Belang” de Tom Van Grieken. Que du beau monde !
– D’autre part par des politiciens corrompus et sans aucune valeur morale – comme le hongrois Viktor Orban ou le slovaque Robert Fico[5] – prêts à démanteler les institutions démocratiques de leur pays, à semer la discorde au sein de l’UE et à s’allier à la Russie et à la Chine pour consolider leur pouvoir national.

Comme l’exprime clairement la philosophe et politologue Justine Lacroix[6], ces partis extrémistes et ces politiciens corrompus ont réussi habilement à faire croire à une partie croissante de la population européenne que leurs politiques de repli sur soi et de protection des pouvoirs nationaux étaient la meilleure façon de protéger les “valeurs” européennes, alors qu’ils en nient le caractère universel ou universalisable.
Dans ce contexte où la portée universelle positive du projet européen est attaquée, tant de l’extérieur que de l’intérieur, et bien que l’Europe doive relever de nombreux autres défis dans les années à venir, il me semble qu’un critère fondamental devrait nous guider prioritairement pour identifier les partis et députés pour lesquels voter le 9 juin : leur engagement explicite pour construire rapidement une Europe de la défense, de façon à aider l’Ukraine à repousser l’invasion russe, et d’être capable de continuer à jouer un rôle dans la mise en place d’institutions garantissant la paix et la démocratie en Europe et les promouvant dans le reste du monde.
La Défense européenne, “pivot” de tous les grands défis européens
Comme l’illustre l’image ci-dessous, la construction d’une telle Europe de la Défense et la victoire de l’Ukraine vont être dans les prochaines années le « pivot » de tous les autres défis européens. De façon encore plus dramatique, l’écrivain Erri de Luca disait récemment que la guerre russo-ukrainienne était devenue “l’épicentre, le centre sismique de la politique mondiale, parce que c’est le prémisse d’une guerre totale”.[7] Ce qui, bien sûr, ne diminue en rien le caractère inacceptable de nombreux autres conflits qui ébranlent également le monde mais qui, par souci de concision, ne seront volontairement pas abordés dans cet article.

1. Greening the world again
En effet, si la Russie gagne la guerre en Ukraine, ce ne seront pas seulement la paix et la démocratie qui seront menacées en Europe mais également notre capacité à mener les politiques nécessaires à la préservation de notre environnement.
En effet, la capacité des pays européens à mettre en œuvre la transition énergétique va dépendre de manière critique à sa capacité à accéder à certaines ressources, tels des métaux rares[8].
Or, qui détient ou contrôle de plus en plus l’accès à ces ressources ? La Russie et la Chine[9], qui contrôlent en outre de plus en plus l’accès à ces mêmes ressources dans de nombreux pays africains.[10]

L’accès aux ressources nécessaires à la transition énergétique va donc de plus en plus dépendre de l’évolution géopolitique, et notamment de l’évolution du conflit russo-ukrainien, qui peut être d’ailleurs vu à certains égards comme un proxy de conflit sino-américain, comme l’explique David Baverez, auteur de “Bienvenue en économie de guerre”.[11]
Sans compter que tout ce que l’Europe devra dépenser pour se réarmer diminuera inévitablement ce qui pourra être consacré à soutenir la transition énergétique.
Il faut donc le reconnaître, même si cela est déplorable, la guerre en Ukraine ne fait pas que des morts sur les champs de bataille aujourd’hui : en détournant de plus en plus les nations du combat essentiel contre le réchauffement climatique, elle prépare aussi la mort de centaines de milliers, voire de millions de personnes dans le monde (sans compter les animaux et les plantes, et plus généralement la biodiversité), qui succomberont aux catastrophes naturelles que nous tarderont à prévenir.
Par ailleurs, comme nous allons le voir, nous ne pourrons construire rapidement et de façon crédible une Europe de la Défense sans des changements profonds du fonctionnement des institutions et des politiques européennes, nécessaires au renforcement de la démocratie et au développement de nos économies et technologies. Tous ces défis sont liés et les politiques permettant de les relever doivent être pensées ensemble, tant elles se renforcent mutuellement.
2. Strengthening democratic institutions
Pour construire une Europe de la Défense, il est urgent de veiller à ce que les décisions vitales pour l’Europe ne puissent plus être bloquées par l’un ou l’autre chef d’État, à son seul profit et au mépris des intérêts communs européens – comme Viktor Orban l’a fait trop souvent ces derniers temps.
Cela requiert d’étendre très rapidement la possibilité de prendre des décisions par le biais du vote à la majorité qualifiée (VMQ) plutôt qu’à l’unanimité. Ceci est particulièrement important pour les sujets qui relèvent actuellement de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), par exemple les sanctions, mais aussi l’élargissement ou la fiscalité.
Bien évidemment, pour certaines décisions, telles que la modification des traités, les déploiements militaires ou l’élargissement de l’UE, une forme de vote à la majorité qualifiée renforcée devrait s’appliquer.
Or, il faut se rendre à l’évidence : sortir du système du vote à l’unanimité, en particulier pour les questions de défense qui peuvent impliquer d’envoyer des citoyens européens à se battre et à mourir, requiert de s’engager, d’une façon ou d’une autre, dans la constitution d’un véritable Etat fédéral Européen. Nous y reviendrons plus tard.
3. Developing European AI and Social Media Tech

Nos démocraties sont de plus en plus menacées par les médias sociaux tel Tik-Tok[12], couplés aux Trolls, Deep Fakes et autres actions de cyber-espionnage russes et chinois[13], facilités par l’Intelligence Artificielle. Et, bien sûr, les systèmes de défense dépendent eux aussi de plus en plus de l’IA.
Dans ce contexte, l’Europe doit, elle aussi, se donner les capacités de développer sur son sol les technologies de l’IA, et pas seulement d’en réguler l’usage, afin de ne dépendre d’aucune autre puissance en la matière. Les Européens restent à ce jour les meilleurs chercheurs, comme le montre une étude récente ; malheureusement les applications sont encore trop souvent développées aux USA. Nous devons nous atteler à changer cela, et très rapidement.
4. Rethinking international trade & migration policies

Enfin, il faut nous rendre à l’évidence que les autres grandes nations, à commencer par les Etats-Unis et la Chine, ne respectent plus les règles multilatérales du libre-échange au niveau mondial.[14] La Chine les a d’ailleurs habilement torpillées depuis des années, de l’intérieur même de l’OMC.
Être les seuls à les respecter n’a plus aucun sens. Il nous faut donc prendre urgemment les mesures nécessaires pour veiller à ce que le commerce international[15] et les migrations – malgré leurs effets potentiellement bénéfiques – ne soient pas pour la Chine et d’autres puissances le moyen d’affaiblir l’économie européenne et de la rendre dépendante d’elles.
Construire l’Europe de la défense
Détaillons maintenant les 5 mesures que la construction d’une telle Europe de la Défense requiert au minimum, du moins tel que je le comprends de mes lectures et dialogues avec des personnes plus expertes que moi[16] :
1. Restructuration institutionnelle : Création d’un Ministère Européen de la Défense par la fusion de l’Agence de la Défense Européenne et certains éléments de la Commission européenne. Un quartier général militaire européen devrait également être établi pour coordonner les stratégies et décisions opérationnelles.
2. Renforcement des capacités militaires : À court terme, spécialisation régionale et standardisation des meilleures pratiques au sein des armées de l’UE ; suivies à moyen terme de la création d’une force européenne d’intervention d’au moins 60 000 personnes.
3. Autonomie stratégique et innovation : Pilotage par le Ministère Européen de la Défense de la recherche, du développement et de la fourniture de capacités militaires avancées, en mettant l’accent sur la cybernétique, l’IA, et d’autres technologies émergentes ; Le Fonds européen de Défense serait consolidé pour financer ces initiatives.
4. Relation UE-OTAN : Rééquilibrage de l’OTAN sur la base des 4 piliers (USA, Canada, UK, et UE ; Je laisse de côté le partenariat avec la Turquie, qui a un pied dans l’Alliance et un en dehors) permettant d’aligner toujours plus les priorités et de renforcer encore l’interopérabilité.
5. Dissuasion stratégique nucléaire : Soutien à une interdiction mondiale des armes nucléaires tout en développant une capacité de dissuasion nucléaire européenne crédible, au travers du développement au niveau européen[17] d’une capacité de frappe conventionnelle et d’un système de défense contre les menaces aériennes, y compris nucléaires.

En résumé, ces propositions visent, selon l’adage bien connu de la Rome Antique, “Si vis pacem, para bellum” (“Si tu veux la paix, prépare-toi pour la guerre”), à renforcer l’autonomie de défense de l’UE en :
1. Consolidant ses institutions de défense ;
2. Améliorant ses capacités militaires ;
3. Adoptant des technologies de pointe pour la sécurité future ;
4. Intégrant les efforts de défense avec l’OTAN, et
5. Développant une capacité de dissuasion nucléaire européenne crédible.
Or dans la mesure où ce renforcement de la défense européenne est nécessaire de façon urgente pour soutenir l’Ukraine à repousser l’agression russe et où, en même temps, ce renforcement ne pourra réellement se réaliser que si l’agression russe est repoussée, il faut agir extrêmement vite.
Pour donner une idée de l’urgence, comparons la vitesse avec laquelle la Russie est en train de mettre son armée “en ordre de marche” et celle avec laquelle les Européens le font.
Récemment, les services secrets américains semblent avoir intercepté des informations russes selon lesquelles Poutine veut que son armée soit “en ordre de marche” pour 2026. Pour ce faire, la Russie consacre actuellement plus de 30% de ses dépenses publiques à la production d’armements militaires et Poutine vient de nommer un économiste à la tête de l’armée russe, Andreï Beloussov, ce qui accrédite la thèse que la Russie est engagée dans une guerre d’attrition.
En parallèle, au rythme actuel auquel l’Europe construit sa défense, nous ne serons “en ordre de marche” qu’en 2035, selon Jean Marsia.
Pas besoin ici de détailler ce que pourrait vouloir dire “en ordre de marche”, que ce soit du côté russe ou européen : nous serons vite dépassés avant de l’avoir compris si nous ne changeons pas rapidement de braquet en matière de défense européenne.
Trois pistes vers une Europe de la Défense et un Etat fédéral Européen
Comme je l’ai brièvement évoqué plus haut, constituer une véritable Europe de la Défense va requérir d’avancer résolument et rapidement dans la constitution d’un Etat fédéral Européen. Comment ? Voici trois voies envisageables, chacune avec des avantages et des faiblesses :
– Une voie “légale”, malheureusement trop lente ;
– Une voie “insurrectionnelle”, idéale mais probablement irréaliste “à ce stade” ;
– Une voie “pragmatique”, possible à court terme, mais insuffisante.
1. La voie légale d’une Convention lancée par le Conseil des Ministres
Giorgio Clarotti, membre du Comité Fédéral de l’Union des Fédéralistes Européens, a proposé dès 2020 la séquence d’actions suivantes ;
– Profiter de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe qui s’est tenue en 2022 pour définir les enjeux des élections européennes ;
– Les mettre à l’agenda des élections européennes de cette année ;
– Lancer après les élections le processus (prévu à l’Art.48 des traités européens) de lancement par le Conseil des Ministres Européen d’une Convention réunissant tous les acteurs européens (y compris des représentants des citoyens) et
– Enfin organiser une conférence intergouvernementale (ou CIG) pour adopter de nouveaux traités, comme cela fut fait en 2002-2004, mais en partant du résultat des élections, ce qui donnerat à ce processus une légitimité démocratique plus grande qu’un référendum.
Le Parlement Européen a suivi cette approche et adopté dès Mai 2023 le rapport ouvrant ce processus, ainsi qu’une liste de révisions à faire, mais le Conseil des Ministres Européen a tout simplement choisi d’ignorer cette approche.
La présidence belge actuelle du Conseil des Ministres Européen était le dernier espoir des fédéralistes de lancer formellement le processus de révision mais cela ne s’est pas fait.
Et malheureusement, ce ne sont pas les présidences suivantes (Hongrie, Pologne, Danemark…) qui pourraient en faire une priorité.
Enfin, nous voyons aujourd’hui que peu de partis ont mis la défense en tête de leur programme politique. Volt est un des rares partis qui l’a fait.
La voie “légale” est donc soit dépassée, soit trop lente par rapport aux enjeux actuels.
2. La voie insurrectionnelle d’un Parlement européen qui se déclare “constituant”
En l’absence d’une volonté à court terme du Conseil des Ministres de poursuivre la voie légale décrite ci-dessus, certains fédéralistes européens comme Jean Marsia, Colonel Administrateur Militaire et Président de la Société Européenne de Défense AISBL[18], estiment que le Parlement européen qui sera élu le 9 juin 2024 devrait user de la souveraineté qu’il tient de son mandat de représentation des citoyens européens et se déclarer constituant.

Dans un article publié dans l’AGEFI en mai 2024, Jean Marsia écrit : “Face à l’immobilisme du Conseil européen, il n’y a qu’une « insurrection politique, pacifique, institutionnelle et constituante » du Parlement européen, la seule institution européenne démocratiquement légitime, qui puisse rendre l’Europe enfin démocratique et capable de prendre en mains son avenir et celui de ses citoyens, d’être active sur les chantiers géopolitiques actuels. Cette insurrection politique, pacifique, consisterait pour le Parlement européen nouvellement élu en la rédaction d’un projet de constitution fédérale pour l’Europe.”
Une insurrection politique des parlementaires européens ? Est-ce possible ?
Oui. C’est en tout cas ce qu’ont fait les membres du Congrès Continental américain en 1787, les membres des États Généraux du Royaume de France en 1789, les députés allemands réunis dans l’Église Saint-Paul de Francfort en 1848 ou encore Altiero Spinelli et les membres du “Crocodile Club” qui rédigèrent une proposition de nouveau traité pour l’Union Européenne en 1980.
De façon similaire, aujourd’hui, face à l’incapacité du Conseil des Ministres à renforcer le pouvoir européen pour relever nos défis collectifs, les représentants du peuple européen les plus légitimes pourraient se déclarer constituant, rédiger et adopter une constitution fédérale.
Le fait que ce soit possible et, plus encore, indispensable, ne veut évidemment pas dire que cela se fera. Et le réalisme me force à considérer qu’il est probable que cela ne se fasse pas.
Il faut donc envisager une troisième voie, moins solide dans ses effets mais plus réaliste quant à sa factibilité.
3. La voie pragmatique de nommer un Haut responsable pour la Défense européenne
Comme nous venons de le voir les voies “légale” et “insurrectionnelle” ont peu de chance de se réaliser, du moins à court terme. Or, il est urgent d’agir alors que l’armée russe progresse de plus en plus en Ukraine et que Trump pourrait être réélu.
Vu l’urgence et la gravité de la situation, il me semble qu’il reste une voie pragmatique, insuffisante en soi mais un premier pas dans la bonne direction : se réunissant en juillet 2024, juste après les élections, le Conseil des Ministres européen pourrait décider de nommer un haut responsable pour la Défense européenne. Si tel était le cas, il est probable que le Parlement européen approuverait cette décision.
L’actuel président de la République tchèque, Petr Pavel, pourrait être la personne idéale pour ce poste. Ancien général de l’armée, il a présidé le Comité militaire de l’OTAN de 2015 à 2018 et jouit d’un grand respect parmi ses pairs, tant militaires que politiques, européens et américains.

Quels partis soutiennent une véritable Europe de la Défense ?
Franchement, j’espère me tromper quant à la gravité et à l’urgence de la situation actuelle pour l’Europe et le monde. J’invite ceux et celles qui rejettent avec force le réarmement mondial actuel à débattre avec moi, et tous ceux qui le veulent, de solutions alternatives à celles proposées dans cet article : il est tout à fait possible que je ne voie pas des actions plus pacifistes qui permettraient au monde de sortir de l’ornière guerrière dans lequel il s’engouffre chaque jour un peu plus.
Je me raccroche dès lors au grand philosophe et politologue français, Raymond Aron, qui aide à penser la guerre encore aujourd’hui, et qui enseigne en substance que faire de la politique, c’est choisir ce qui est possible et non ce qui est souhaitable.

A défaut du souhaitable, espérons donc que nous choisirons ce qui est encore possible, c’est-à-dire en l’occurrence “d’armer la sagesse” comme le disait Aron, avant qu’il ne soit trop tard. Les enjeux sont trop importants pour l’Europe, le monde, et toute l’humanité, que pour réagir, par définition toujours en retard. Pour éviter le pire, il nous faut au contraire agir en conscience, en fonction de ce que la situation requiert, ici et maintenant.
Si vous le pensez aussi et si vous partagez un tant soit peu l’analyse contenue dans cet article, il est essentiel de voter pour un parti et des député(e)s qui s’engagent explicitement à promouvoir une véritable Europe de la Défense, dans l’intérêt de l’Europe et du monde.
Or ceux-ci ne sont pas légions. En Belgique, j’en distingue trois :
– Volt : ce parti est encore peu connu du grand public mais son programme détaille des mesures précises quant à la construction d’une Europe de la Défense. J’apprécie par ailleurs le fait que Volt soit pan-européen (voir entre autres Volt Belgique, Volt België ou Volt France) : il me semble plus que jamais important de faire émerger des visages et des figures politiques qui incarnent l’Europe, au-delà de leur nationalité.[19] C’est d’ailleurs également à la fois une condition et une conséquence naturelle de la construction d’un véritable Etat fédéral Européen.
– Les Engagés : emmenés à l’Europe par Yvan Verougstraete, un entrepreneur très compétent, que je respecte pour son intégrité et son engagement, leur programme plaide, quoique de manière plus timide que Volt, pour une “véritable défense européenne”.
– Vooruit : sous l’égide de Melissa Depraetere, leur programme plaide aussi pour une véritable Europe de la Défense.
C’est malheureusement à peu près tout : les autres partis belges, qu’ils soient flamands ou francophones, n’ont pas de position claire quant à l’urgence de construire une véritable défense européenne, ou pire ne l’évoquent même pas.
Pourtant, l’Europe et le monde sont à un tournant historique, et l’avenir dépend de nous tous.
[1] Cela est stipulé au titre V du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (articles 67 à 89).
[2] Cette newsletter constitue, avec retard, mes vœux et mon partage annuel d’expériences que je n’ai pas publiés en janvier 2024. Elle fait écho à mes vœux pour 2023 dans lesquels, au travers de 10 phrases-clés extraites d’un livre de Jean-Yves Leloup (“Tout est mirage, tout est miracle”), je tentais d’exprimer ce mouvement double, oscillant entre la prise de conscience du mirage et de celle du miracle, que j’éprouvais plus intensément depuis le début de l’invasion de l’Ukraine en février 2022. A l’époque, je me débattais encore avec le sentiment de haine que Poutine suscitait inévitablement en moi. Aujourd’hui, libéré en grande partie de ce sentiment, je suis plus en mesure de comprendre ce qui se joue géopolitiquement aujourd’hui. “Jeu” dans lequel Poutine, à l’instar de Xi Jinping et d’autres autocrates et leurs hommes de main, ne sont que des symptômes malheureux et pitoyables, quoiqu’extrêmement destructeurs.
[3] Comme vous le verrez, outre de nombreux livres, les sources de mes analyses sont principalement le magazine The Economist, et les podcasts de France Culture (en particulier Affaires Étrangères, Cultures Monde, Géopolitique, Guerre en Ukraine, L’esprit public, La Revue de presse internationale, Le temps du débat, Les enjeux internationaux), de la Royal Society of Arts (RSA), du Club 44, d’Enquête d’avenir, de In Moscow’s Shadow, de Living Myth, de Thinkerview, de The Philosopher’s zone et de Unbossers.
[4] Voir via ce lien la couverture de ID par EurActiv, un média en ligne européen de qualité que j’ai eu l’honneur de diriger et de redynamiser comme CEO il y a quelques années.
[5] Contrairement à que ses supporters clament, la tentative d’assassinat dont il vient de faire l’objet – aussi inacceptable soit-elle – ne doit pas être vue comme une “attaque envers la démocratie” mais avant tout comme l’expression du malaise qui grandit en Slovaquie et qui résulte de la corruption endémique et des pratiques politiques maffieuses que Fico promeut et incarne.
[6] Voir l’entretien de Justine Lacroix avec Guillaume Erner sur France Culture ce 21/05/24 : “Union européenne : le sens des valeurs”. Voir également son dernier livre sur le sujet et son intervention au Collège de France.
[7] Ce 20 mai 2024 au micro de Pascal Claude, dans “Dans quel monde on vit”.
[8] Comme l’évoque Fanny Coulomb, Maîtresse de conférences HDR en économie à Sciences Po Grenoble le 8 mai 2024 dans un podcast de France Culture sur l’industrie de la défense.
[9] Selon Xi-Jinping, “l’amitié entre la Russie et la Chine est sans limites” : voir à ce sujet l’article de The Economist du 14 mai 2024 : An autocratic bromance: The Xi-Putin partnership is not a marriage of convenience; It is one of vital, long-term necessity)
[10] Depuis plusieurs années, la Russie et la Chine s’activent, souvent au travers de guerres hybrides, à déstabiliser, contrôler et exploiter par tous les moyens de nombreux pays africains. A ce jeu, comme l’explique The Economist, Xi Jinping est beaucoup plus subtil et donc encore plus dangereux que son vassal Poutine.
[11] David Baverez s’exprimait à ce sujet dans ce podcast de France Culture le 7 mai 2024 suite à la visite de Xi Jinping à Paris.
[12] Comme l’évoque cet article de The Economist, il est raisonnable de penser que TikTok soit contrôlé par le gouvernement chinois.
[13] Voir dans ce cadres les articles suivant de The Economist sur les Trolls et aux Deep Fakes du FSB russe et du cyber-espionnage par le MSS chinois,
[14] Voir à ce sujet le récent special report de The Economist : “The liberal international order is slowly coming apart: Its collapse could be sudden and irreversible”.
[15] Comme le suggérait déjà The Economist en 2023.
[16] Entre autres Giorgio Clarotti et Jean Marsia, voir plus loin.
[17] Cela pourrait se faire aujourd’hui essentiellement grâce à l’extension aux pays membres de l’UE de la protection nucléaire dont jouit aujourd’hui la France – extension qu’Emmanuel Macron a dit être prêt à considérer lors de son discours à la Sorbonne, ce qui constitue un changement majeur par rapport à l’orthodoxie gaulliste défendue par la France jusqu’ici. Le chancelier allemand Olaf Scholz a répondu aux propos de Macron en ces termes dans The Economist : “I therefore support President Emmanuel Macron’s proposal to have a conversation about the future defence of Europe. I said earlier this year that we must strengthen the European pillar of nato—and we must strengthen the European pillar of our deterrence. To be clear, there will not be any “eu nuclear weapons”—that is simply unrealistic. There is also no intention to question the sovereignty of the French dissuasion nucléaire. At the same time, I welcome the fact that the French president emphasised the European dimension of the French force de frappe.”
[18] J’ai eu la chance d’avoir Jean Marsia comme instructeur quand j’ai fait mon service militaire, justement la dernière année avant la suppression du service militaire en Belgique.
[19] Lors des élections européennes de 1999 pour lesquelles j’ai été candidat, j’ai mené une campagne dans plusieurs pays bien que cela ne permettait pas d’engranger plus de voix. Je le voyais comme une action symbolique afin de soutenir la proposition du député européen Anastassopoulos, qui proposait qu’un certain nombre de sièges du Parlement Européen soit attribué à des candidats se présentant dans plusieurs pays européens.