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Du calcul à la confiance : l’organisation comme système d’attentes de comportement ? Conférence-débat PhiloMa avec Marc Hunyadi
24/04/2018 | 19:00 - 22:30
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Horaire : 19:30 – 22:30 (accueil à partir de 19:00)
Lieu : Maison ND du Chant d’Oiseau, 3A, Avenue des Franciscains à 1150 Woluwé-Saint-Pierre.
Participation aux frais & Inscriptions
Comme nous l’avons vu dans les précédents séminaires de notre cycle actuel, la mise en œuvre des principes des entreprises libérées ou Opale requiert une vision du monde et de l’être humain différente de la théorie X selon Mc Gregor ou du vMème Orange selon Graves, qui sont encore en vigueur dans la majorité des organisations actuellement.
Or, la vision du monde selon la théorie Y ou le vMème Jaune ou Opale présuppose la confiance.
Mais qu’est-ce que la confiance au juste ?
On en parle beaucoup mais elle est souvent très peu définie.
Le philosophe Mark Hunyadi, professeur de philosophie morale et politique à l’Université de Louvain, publiera prochainement un livre à ce sujet.
Ce 24 avril 2018 en soirée, à Bruxelles, nous aborderons avec lui les résultats de ses recherches sur la confiance et sur leurs implications pour la gestion des entreprises, en particulier pour les organisations qui veulent s’engager – ou qui sont déjà engagées – dans des trajets de libération ou de transformation vers l’Opale.
Nous verrons en particulier avec lui qu’une réflexion en profondeur sur la notion de confiance, combinée à une application de la spirale dynamique, permet de forger une nouvelle vision de ce qu’est une organisation, de comment elle évolue et de ce que devrait être l’exercice de la liberté dans une entreprise libérée.
Ainsi, les travaux d’Hunyadi permettent de penser que la liberté dans une entreprise libérée n’est pas la liberté de faire n’importe quoi, mais celle de déterminer les attentes de comportement respectives. Une fois que ces attentes sont clarifiées en commun, on peut parier sur elles. L’idée est que ce pari encapacite les acteurs, les responsabilise, les respecte et donc favorise leur développement.
Sur cette base, on peut interpréter le modèle des entreprises libérées ou Opale comme une philosophie de l’organisation des attentes de comportement, que celles-ci concernent les relations de travail à l’intérieur de l’entreprise ou qu’elles concernent les entreprises elles-mêmes (qu’attend-on d’elles dans leurs relations avec l’écosystème ?).
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Le raisonnement d’Hunyadi peut être résumé comme suit. Commençons par définir la confiance à partir d’un exemple simple, celui de la circulation routière. Personne ne pourrait faire 100 mètres sur la route s’il n’avait confiance dans le comportement des autres usagers (que la voiture d’en face va garder sa droite, que le piéton ne va pas traverser inopinément, etc.).
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Cela veut dire que nous attendons toujours des uns et des autres qu’ils se comportent d’une certaine manière, et que nous ne pouvons-nous déplacer d’un point A à un point B que parce que nous supposons que ces attentes seront satisfaites. En l’occurrence, ce qui est attendu des uns et des autres est défini, stabilisé par les règles de la circulation routière. Ces règles définissent donc les attentes de comportement que les usagers de la route peuvent légitimement nourrir les uns à l’égard des autres.
En circulant sur la route, chaque usager fait donc le pari que les autres usagers se comporteront en fonction de ce qui est attendu d’eux. Mon action (être en train de me déplacer de A à B) est donc directement dépendante de l’action que j’attends d’autrui. La confiance apparaît donc comme un pari sur les attentes de comportements d’autrui (telle est la définition originale qu’Hunyadi propose dans son livre, où il note par ailleurs que la confiance est certes très souvent considérée comme fondamentale pour l’ordre social, mais qu’elle est également très rarement définie).
Deux choses importent ici :
- qu’il y ait de telles attentes, lesquelles doivent pouvoir être définies, car on doit savoir à quoi s’attendre de la part d’autrui. Aucune interaction sociale ne serait possible s’il n’y avait pas de telles attentes.
- qu’il s’agisse d’un pari. C’est l’essentiel. En effet, un pari engage : je dois agir, et mon action est directement dépendante de ce que j’attends qu’autrui fasse. La confiance ne s’exprime que dans une action : c’est pourquoi elle n’est pas un calcul (contrairement à des théories répandues !). Calculer les risques, évaluer des probabilités d’action de l’autre, ce n’est pas agir, c’est calculer, précisément. C’est la position de l’assureur : il calcule des probabilités. Avoir confiance, c’est s’engager dans l’action, donc en quelque sorte sauter par-dessus le calcul des probabilités. Tant qu’on n’agit pas, on ne peut pas dire qu’on a confiance. C’est pourquoi la confiance a la forme d’un pari. Et comme tout pari, celui-ci peut être perdu, naturellement.
Transposons cela au monde de l’entreprise. Comme toute organisation sociale, une entreprise est aussi un système d’attentes de comportement, finalisé par un certain but. Comme tout système, elle a ses règles de fonctionnement : cela veut dire que les attentes de comportement peuvent être exprimées de façon plus ou moins rigide, plus ou moins autoritaire, plus ou moins explicite, etc. (comme la « Théorie Y » de McGregor, qu’il oppose à la « Théorie X », celle de la bureaucratie hiérarchique). Les attentes de comportement peuvent porter sur des objectifs chiffrés (management par objectif), sur la gestion du temps (pointer ou pas, horaires plus ou moins fixes, etc.), sur la gestion de l’espace (télétravail, etc.), sur le code vestimentaire, sur toutes les obligations afférentes aux fonctions occupées, etc.
En entreprise, les attentes de comportement pourraient être ainsi thématisées, exposées, discutées (c’est une différence avec les règles de la circulation !). Tout un dispositif de communication autour des attentes de comportement peut être imaginé. On pourrait dire que la liberté dans une entreprise libérée n’est pas la liberté de faire n’importe quoi, mais celles de déterminer les attentes de comportement respectives. Une fois qu’elles sont clarifiées, on peut parier sur elles. L’idée est que ce pari encapacite les acteurs, les responsabilise, les respecte et donc favorise leur développement.
On pourrait prendre à cet égard des exemples de dispositifs très concrets traduisant ce passage du calculà la confiance, comme la suppression de l’obligation de pointer, permettre le télétravail, et toute autre mesure permettant d’augmenter la qualité éthique de l’environnement de travail. De même, on pourrait relire le modèle de Laloux et ses stades d’évolution via la spirale dynamique comme autant de manières de gérer les attentes de comportement. On lirait alors le modèle des entreprises libérées ou Opale comme une philosophie de l’organisation des attentes de comportement, que celles-ci concernent les relations de travail à l’intérieur de l’entreprise ou qu’elles concernent les entreprises elles-mêmes (qu’attend-on d’elles dans leurs relations avec l’écosystème ?).
A ce stade, posons la question de savoir si la confiance est bonne pour l’entreprise, et en quel sens (bonne pour les salariés, bonne par rapport aux finalités visées par l’entreprise, etc.). L’hypothèse de Mark Hunyadi est que oui, mais ceci devrait encore être appuyé par des données empiriques, par les expériences des entreprises libérées, etc.
Remarquons enfin que ce qui, d’une manière générale, est susceptible d’éroder la confiance (en entreprise comme ailleurs) est l’approche par le calcul, le contrôle, la quantification, l’évaluation, toutes choses qui in fine augmentent la méfiance, la suspicion, la concurrence malsaine, la déresponsabilisation (sans parler du stress, burn-out, etc.).
Notons que ces considérations ne sont pas éloignées de celles d’un autre de nos orateurs cette année, Albert Ogien, qui a consacré, avec Louis Quéré, un ouvrage consacré au concept et aux pratiques de confiance (A. Ogien et L. Quéré, Les moments de la confiance, Paris, Economica, 2006).
Mark Hunyadi
Mark Hunyadi est professeur de philosophie morale et politique à l’Université de Louvain, où il dirige aussi le Centre de recherche en philosophie pratique Europé, et chroniqueur philosophique au journal Le Temps à Genève. Dans son dernier livre, La tyrannie des modes de vie (Ed. du Bord de l’eau, 2015), il développe les éléments d’une « théorie critique des modes vie » qui entend renouveler de manière originale la problématique de la philosophie sociale.